Marina

le 8 Fév, 2022

Les intentions de l’auteur

Ce film a pour intention de mettre en scène la question du « vivable » et de « l’invivable » à travers la vie de Marina, une toute jeune fille bonne à tout faire dans un château de l’Italie du Nord, au début du XXème siècle. Elle a un enfant avec un aristocrate du lieu. Au-delà d’une histoire qui m’anime et s’appuie sur des faits réels, j’ai ressenti le besoin de filmer une femme qui ne choisit pas sa vie. Elle doit abandonner son enfant. Cela brise sa vie. Si on entend par « le vivable » ou « l’invivable » ce qui peut être vécu ou pas par un sujet, que reste-t-il alors de la vie, où est la vie, oserais-je dire, quand celle-ci est devenue invivable ? Telle est bien la question que je cherche à développer à travers le prisme de Marina. Histoire au long cours, puisque nous la suivons d’octobre 1901 au 22 novembre 1959, date de sa mort.

J’ai choisi de filmer la trajectoire de cette femme qui survit car chaque vivant n’est-il pas en même temps quelqu’un qui vit une vie mais peut aussi ne pas la vivre, se savoir démuni des conditions pour la vivre. Comment vivre malgré tout ? Comment rester vivant quand on est peut-être « déjà mort » ?

C’est pourquoi mon intention première dans ce film est d’être au plus près des misérables de la terre qui, malgré les épreuves, continuent à vivre. La vie ne s’arrête pas, même si, parfois, Marina n’avance plus. Angelo, son mari, lui dira « tu étais où » ? Elle répondra «là dans la nuit ». Mais la vie reprend toujours.
Je n’ai pas voulu faire de Marina une femme héroïque. Elle porte la honte de cet enfant qu’elle n’a pas gardé. Ce traumatisme se réveille régulièrement dans le film, comme un fil rouge, chaque fois que Marina casse des verres.

 

 

Marina nous déconcerte

Elle est à la fois méfiante et naïve, combattante et désespérée, compréhensive et colérique, fière et honteuse, décevante ou extraordinaire. Cette ambivalence nous renvoie à la nature humaine souvent complexe et difficile à saisir.
Le côté invivable de la vie de Marina devient d’autant plus insupportable qu’elle observe en ce début du XXème siècle une période de changement, la fin d’un asservissement et le début d’une vie que nous pourrions qualifier de meilleure. Dans l’histoire de Marina cet aspect est très important. Cette société en devenir est à la portée de Marina, mais elle se construit sous ses yeux sans qu’elle en bénéficie. Marina dira « nous sommes peut-être la dernière fournée des dominés ». Marina pourrait être, alors, dans ce ressentiment que nos sociétés connaissent aujourd’hui. Le livre de Cynthia Fleury « Ci git l’amer » le décrit bien. Mais Marina, malgré le rejet de sa famille, l’invective des femmes au lavoir, l’incompréhension de son mari, la dureté des métayers et propriétaires agricoles ne s’enferme pas dans l’amertume. Marina trace sa route. Elle cherche à nous faire partager que sa vie ne devrait pas être vécue ainsi. Elle se rapproche des ligues, des syndicats agricoles. Ils dénoncent cescandale, conscientisent le petit peuple de paysans et d’ouvriers. Elle fait même acte de positionnement politique lorsqu’elle décroche une banderole fasciste. Elle accomplit une démarche courageuse car tout en ayant honte d’elle- même, elle réussit à s’en extraire pour s’inscrire dans un acte d’engagement. Mais Marina est désenchantée. En quête de soutien elle est souvent déçue, se faisant trop d’illusions ou trop idéaliste dans son désir d’une plus grande humanité.

 

 

Je suis intéressé par la douleur

Comme Maurice Pialat citant Auguste Renoir : « je veux prendre le bouquet du coté où il est défait ». Le bouquet, de fait, c’est l’irruption de la vie malgré tout, la complexité, la vitalité. Marina se bat pour réussir à vivre chaque jour. C’est un défi qui m’émeut. A chaque jour il y a un lendemain, car il faut se lever, aller travailler. Au moins cela pour survivre. Je trouve Marina étonnante. Nous la croyons prête à s’effondrer et elle nous apparaît soudainement solide, prenant des risques. Inversement, elle peut vite se fragiliser.

J’aime les films qui racontent les êtres au plus près comme « L’arbre aux sabots » d’Olmi. Je souhaite tourner en noir et blanc pour mieux accompagner la dramaturgie, avec des gros plans, des fondus au noir, des bruits de l’instant, peu de musique ajoutée. Une histoire racontant « une histoire » au long cours, avec son cortège d’évènements historiques. La petite histoire se confrontant à la grande histoire, et des bancs titres effilant le temps. Raconter le trauma de Marina comme une anecdote n’est pas possible, ce serait une entorse à la vérité de l’évènement. Je cherche à saisir l’invivable de ce traumatisme. La dernière scène est empreinte de solitude et aussi d’apaisement. Un songe vient clore ce film. Un songe symbolique permettant au dernier verre de ne pas être cassé. A force de « dire » Marina cesse de se taire. Peut-être que, finalement, Marina a bâti du vivable dans des situations invivables.

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